Pretty Boy - Arslan Bloom - (Terminé)

USA – Bronx – 2012

- Arslan…pourquoi est-ce que tu as dit que c’était toi qui avais brisé l’assiette alors que c’était moi?

Je pose mon regard doux vers Tomas, un jeune garçon de six ans à peine, cheveux bruns en pagaille et de beaux grand yeux vert lime. Je lui souris alors que je ramasse la porcelaine brisée au sol. Il reste sur le bord du cadre de la porte, agrippant le bois de ses petits doigts comme si sa vie en dépendait. Je garde le sourire, mais ça pique un peu sur le coin droit de mes lèvres. Le coup avait été assez puissant pour me fendre un peu la peau. Ce n’était pas grave. J’étais habitué. Je fis signe au petit garçon de garder le silence, de mon doigt et je terminai de tout ramasser. J’avais dix ans et ce n’était pas la première fois que je me prenais une volée de la part de mon père de famille d’accueil…enfin…de l’un de mes nombreuses familles d’accueil.

- Ce n’était qu’un accident, ne t’inquiète pas Tomas. Les enfants ne devraient jamais être punis pour un accident. Les monstres ne pourront jamais te faire le moindre mal si tu ne leur montre pas ta peur, ni ta douleur. Le dragon ne te touchera pas.

J’étais orphelin depuis la naissance. Jamais je n’avais connu l’amour maternelle d’une mère et la fierté paternelle d’un père. Je n’avais connu que le système juridique des familles d’accueil et à vrai dire, je n’arrivais pas à imaginer ma vie autrement. À dix ans, j’avais déjà fait six familles différentes et dans chacune d’elles, il y avait quelque chose de cassée…ou quelqu’un de brisé. Le dysfonctionnement de la société actuelle et son amour pour l’argent. Je ne comprenais pas encore ce que tout cela voulait dire. Je savais simplement que de prendre des coups, parfois, cela pouvait arriver. Rien de plus, rien de moins. J’avais vite compris qu’il ne fallait pas se laisser gagner par la peur, qu’il fallait se montrer brave et courageux, mais ne jamais défier le dragon. Chaque maison d’accueil avait son dragon et comme tous les dragons, il crachait du feu qui brûlait la peau. Les cicatrices ne disparaissaient jamais totalement.

Une grande sœur de foyer m’avait raconté l’histoire d’un chevalier et d’un dragon. Le chevalier avait protégé un village tout entier du vilain monstre et malgré ses blessures, il n’avait jamais arrêté de combattre. Il avait pris les coups pour protéger les innocents. J’allais être le chevalier de toutes mes familles d’accueil et protéger tout le monde du dragon cracheur de feu. Je n’aurais pas peur, même si j’avais peur. Je n’allais pas montrer ma douleur, ni mes larmes et j’allais utiliser mon sourire comme bouclier et mon positivisme comme épée. J’allais prendre sur moi les erreurs de mes camarades pour qu’ils soient bien et heureux. C’est comme cela que j’intégrai le terme de bouc émissaire et que j’en devins un, volontairement.

Je déposai les morceaux de porcelaine brisée dans la poubelle et je fis un chaleureux sourire à Tomas. Mon corps me faisait mal, mais je survivrai. Je survivais toujours. Je lui fis un petit signe de la main puis, je terminai de nettoyer la cuisine et de faire la vaisselle. Je chantonnais même en le faisant, mettant de côté ce qui venait de se passer quelques instants plus tôt. Demain serait une belle journée, j’en étais persuadé. Je préférais voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. Je ferais toujours de mon mieux et tout le monde serait heureux.

USA – Bronx – 2020

J’ai seize ans et c’est mon anniversaire. Du moins, c’est en principe la date de ma naissance. Je n’ai jamais fêté mon anniversaire. Ce n’est pas grave du tout. Je n’aurais aucune idée du cadeau à demander de toute façon. Je n’ai besoin de rien de plus que ce que je possède déjà. J’aime mes frères et sœurs et mes parents d’accueil sont correctes avec moi. C’est ma huitième famille d’accueil. On ne me frappe pas, mais ma mère d’accueil reste droite et sévère avec moi. Elle me traite de bon à rien et de stupide abruti. Elle veut que je complète des problèmes mathématiques, mais je n’y comprends rien. Je ne suis pas allé dans les meilleures écoles et j’ai un trouble d’apprentissage. Je n’arrive pas à me concentrer et à rester sérieux.

- Arslan! Tu n’es vraiment qu’un gamin stupide! Ce n’est pourtant pas compliqué!

- Je sais, madame Graham. Je sais. Je vais essayer de faire de mon mieux.

Elle me fixe et soupire en pinçant les lèvres. Je lui souris de l’un de mes plus beaux sourires. Je ne me bats pas avec elle et j’acquiesce à ses propos. Je sais que je ne suis pas la personne le plus intelligent. J’ai manqué des classes…j’ai manqué des cours…j’ai toujours eu de mauvaises notes, mais je sais que je peux faire mieux. J’aide les plus jeunes avec leurs devoirs, je fais les tâches ménagères de tout le monde pour qu’il profite du beau temps et du dehors. Mes notes importent peu si l’avenir de ceux que je protège les amène à de grandes choses. Je souris même si les mots blessent et même si je les crois à force de les entendre. Je suis habitué. Ce n’est pas grave. Je ferai de mon mieux.

Je vais voir tous mes frères et sœurs et les observe dormir. Je m’assure que les veilleuses sont éteintes, les plus jeunes bien bordés et je souris doucement avant d’aller moi-même me coucher. J’ai seize ans aujourd’hui et cela ne me fait ni chaud ni froid. J’aime ma famille et je ferai toujours tout pour leur bonheur. Puis, dans deux ans, je serai majeur et libéré du système et livré à moi-même. J’irai alors affronter les dragons de ce monde. Du moins, c’était ce que je j’avais en tête…mais la réalité…fut bien différente.

USA – Bronx – 2022

J’avais un casier judiciaire juvénile maintenant. Je n’avais commis aucun délit. J’étais innocent, mais pourtant j’acceptais cette réalité. Greg avait commis des vols à l’étalage, plusieurs sur quelques mois. Les policiers avaient eu des doutes sur l’identité du suspect. Étant les deux plus vieux de la famille d’accueil, nous traînions souvent ensemble. Je ne l’avais pas vu voler ces paquets de croustilles, ces tablettes de chocolats ou même ces gommes à mâcher. Nous ne mangions pas à notre faim, cela arrivait. Ce n’était pas bien de voler, mais j’étais certain que Greg n’avait pas fait cela de façon mauvaise. J’avais vu les plus jeunes avec des chocolats et des croustilles parfois et je savais cela ne provenait pas des parents. Il avait simplement voulu mettre un sourire sur les lèvres des enfants, comme moi. Je ne lui en voulais pas de m’avoir dénoncé à sa place. Ni d’avoir caché les évidences dans mes tiroirs et mon sac à dos lorsque les policiers sont venus fouiller.

J’avais tout accepté pour ne pas causer de problèmes à personne. Je portais le blâme pour des actes que je n’avais pas orchestrés et cela ne me dérangeait pas. J’étais maintenant déclaré comme un délinquant et cela à une semaine de mes dix-huit ans. Connaissant ma famille d’accueil, elle ne pourrait tolérer cela. Un voleur dans leur maison… ?! Inconcevable. J’avais simplement souri à Greg, aux plus jeunes et pris mes responsabilités. Dans une semaine j’allais avoir dix-huit ans et je serais envoyé à Blake Lake, école pour délinquants. Du moins, c’était ce que j’avais compris dans les grandes lignes. Un voleur comme moi ne pouvait pas retourner en toute liberté dans une société parfaite, non? Je n’avais pas peur, même si j’avais peur. Je me disais simplement qu’un nouveau départ s’annonçait à moi et que j’allais affronter de nouveaux dragons.